Procédure pour bestialité (zoophilie) et pour sorcellerie contre Jean Goeury en 1600 à Saint-Dié dans les Vosges


Présentation

Présentation

L’édition de la présente procédure manifeste que nous et notre équipe nous continuons à travailler sur la zoophilie et le crime de bestialité1. C’est aussi un préalable à la publication d’un livre sur Les fouteurs de juments... où le procès fait à Jean Goeury sera complètement exploité aux côtés de tous les autres qui constituent notre documentation originale. Mais comme toute procédure, celle-ci est exploitable sous d’autres angles, d’où sa mise à disposition.

La procédure faite contre Jean Goeury en 1600 est en mauvais état. La manipulation de la liasse B 8684 fait craindre de l’abimer encore plus mais le document est maintenant sauvé pour les historiens puisque nous l’avons transcrit et édité. Rappelons que dans d’autres territoires (dans le royaume de France par exemple) un tel procès aurait été mis sur le bucher avec le corps du condamné. En Lorraine il a été préservé comme pièce comptable annexée au registre annuel des recettes (la confiscation des biens du condamné) et des dépenses (les frais de justice et d’exécution). De plus, ce procès est parvenu jusqu’à nous, en un exemplaire abimé et l’autre est très incomplet mais ses quelques pages sont en meilleur état. La présente édition combine les deux sources.

La procédure conservée à Nancy comprend cinq pièces :

La pièce n°1 provient d’une autre procédure qui aurait été faite en même temps ou un peu avant, à une femme accusée de sorcellerie. Nous ne l’avons pas identifiée. Cet extrait dénonce Jean Goeury ainsi que d’autres participants au sabbat des sorciers.

Il n’y a pas d’acte conservé sur le lancement de la procédure.

La pièce n°2 est l’« information » durant laquelle des témoins sont auditionnés. Cette enquête est réalisée en trois et elle a une durée inhabituelle : le 17 avril puis le 22 puis le 3 mai. À la suite se trouve le procès-verbal du lieutenant qui devait se saisir de la personne de Jean Goeury mais qui ne l’a pas trouvé (12 mai) puis les « réquises » ou réquisitions du procureur contre Jean Goeury (15 mai).

Goeury a dû s’enfuir au tournant des mois d’avril et de mai.

La pièce n°3 est l’interrogatoire de Jean Goeury (29 juin).

La pièce n°4 est le « récolement » des témoins à leur déposition pour s’assurer qu’ils en maintiennent les termes, puis par leur confrontation au prévenu. Après quoi se trouvent sur la liasse les nouvelles réquisitions du procureur puis l’avis des échevins de Nancy qui condamne le prévenu à la question.

La pièce n°5 est l’interrogatoire de Jean Goeury sous la torture avec ses aveux (24 juillet) puis le dernier avis des échevins de Nancy qui pour Saint-Dié a valeur de jugement définitif (27 juillet).

N’a pas été conservé le prononcé de jugement à Saint-Dié qui est en général suivi du procès verbal de l’exécution. Mais l’exécution est confirmée dans le registre de comptes que nous avons référencé comme sixième pièce dans notre édition mais qui ne fait pas partie de la procédure (Archives de Meurthe-et-Moselle, B 8685).

Il est beaucoup question dans le procès Goeury de sa disparition avant qu’il ne revienne et soit capturé et interrogé. Un autre prévenu en 1601 s’enfuit aussi mais pas au même moment de son procès2. C’est en effet après avoir été confronté à des témoins que Colas Cayel « s’absenta de ce lieu et se rendit fugitif sans avoir esgard que l’avions constitué en arrest de sa personne avec commandement de ne partir de ce lieu ». Revenu ou repris, Cayel est interrogé le 7 août 1601 et « il a respondu qu’il fut mal sage et mal advisé et pour ceste faulte il s’en remect à la bonne grâce [de] ses seigneurs et leur prie d’avoir pitié et misércorde de son pauvre fait ». On comprend ses craintes car Cayel avait déjà été dit sorcier quatre ans plus tôt, puis deux ans plus tôt, peut-être encore une autre fois au moins, puis en 1601 où son procès lui est fait. Les enquêteurs lui demandent « pourquoy il ne poursuyvoit réparation de tant de personnes qui l’ont appellé sorcier ? » car effectivement la bonne attitude judiciaire d’un innocent serait de porter plainte contre ceux qui le calomnient afin de se purger de la rumeur et les faire condamner. Jean Goeury s’est enfui plus tôt, durant l’information et avant d’être interrogé et confronté. Pour nous, la suite de l’interrogatoire de Cayel et de son procès montrent à quel point il aurait été préférable de partir et ne jamais revenir. Pour Goeury en 1600 comme pour Cayel en 1601, la fuite et un avenir incertain semblent leur avoir fait encore plus peur qu’affronter la justice. La raison est sans doute, comme on le voit dans plusieurs dépositions, que fuir c’est valider les accusations dans l’esprit des voisins. Or Goeury comme Cayel n’y ont rien gagné puisque chacun d’eux a été conduit à la mort par son procès.

Au vu des dépositions, il semble que l’accusation de sorcellerie seule n’aurait peut-être pas valu une accusation et condamnantion à Jean Goeury. En effet ils rapportent un bruit, un ouï-dire, une rumeur mais la plupart ne le croient pas sorcier et ils n’ont pas de fait précis à lui reprocher. En revanche le crime de zoophilie, de « sodomie » ou de « bestialité », est à lui seul une incrimination qui peut valoir la peine de mort, sauf que nous savons par d’autres cas que le corps social est partagé à cet égard. C’est ainsi que Jean Voirat a commis le même acte et crime que Goeury une ou deux fois vers 1575 mais il a seulement été sermonné par le maire de son village3. Aucun habitant ne s’est érigé en partie formelle pour déposer plainte et il n’y a pas eu de suite judiciaire. En revanche quand Voyrat est devenu insupportable à ses voisins, notamment pour ses vols répétés et pour des menaces, et quand on lui a fait son procès en 1597, certains parmi les témoins ont ressorti cette affaire de bestialité qui a conduit le prévenu jusqu’à la peine de mort. De même, en 1600, Jean Goeury pense pouvoir se faire pardonner pour un crime de bestialité qui remonte à ses 18-20 ans et il essaie même de négocier avec le seigneur (le chapitre de Saint-Dié) et avec sa justice pour qu’il n’y ait pas de poursuites contre lui4. Mais d’une part on oppose à l’homme qu’il a envoyé porter cette proposition, un refus de principe, et d’autre part Goeury a été dénoncé pour avoir de nouveau commis ce crime sexuel à une date toute récente. Son premier acte de zoophilie interpelle car il n’était déjà plus un jeune garçon, à moins qu’il ne mente sur sa première fois et qu’il ne reconnaisse que la fois où il sait avoir été observé5. De plus, il commet cet acte à 18-20 ans « du temps de sa première femme » avec une vache de son beau-père, car il déjà marié. Or la bestialité est souvent imaginée comme étant une sexualité de compensation par manque de femme. Son épouse serait-elle trop jeune pour qu’il puisse la toucher ? Ou Goeury avait-il, en plus, un goût particulier pour foutre des bêtes ? En 1600, le même Goeury a la cinquantaine et il a une seconde épouse. Mais il est surpris par une voisine qui le voit commettre le péché et crime de sodomie au derrière d’une chèvre. N’aurait-il rien fait de la sorte, entre ses 20 ans et ses 50 ?

Parmi les témoins et au vu de leur déposition, il en est deux qui se distinguent qui sont la fille et la femme de Jean Goeury. Ils n’auraient pas dû être interrogés par les gens de justice. Au moins, s’ils avaient voulu les entendre, conformément au droit ils n’auraient pas dû leur faire prêter serment (« adjurée et enquise... ») et ne pas leur donner un statut de témoin. Ils ont même voulu les confronter à leur mari et père (29 juin) mais les deux femmes se sont absentées exprès. On relève aussi que la plupart des témoins n’avaient pas de soupçons du « crime de sortilèges » contre Jean Goeury avant que Jean Lallemant, exécuté pour sorcellerie la même année 1600, avant Pâques, ne le dénonce comme sorcier. En revanche, plusieurs le désavouaient déjà comme voleur d’occasion, peut-être même comme cambrioleur chez le curé, et son ancien crime de bestialité était connu de quelques-uns.

La liasse du procès Goeury ne comprend pas le jugement mais le registre des comptes conservé aux Archives départementales à Nancy en B 8665 confirme la condamnation et l’exécution du prévenu. Au vu du procès on croit comprendre que Jean Goeury a fini par se soumettre entièrement aux attentes de ses juges, avouant tout ce qu’ils voulaient entendre pour obtenir en récompense que ses biens ne soient pas tous confisqués et que ses enfants ne soient pas jetés dans la misère. On voit qu’il n’a pas été satisfait, voire qu’il a été trompé. C’est que les officiers de Saint-Dié sont des gens impitoyables et ils sont soutenus par les échevins de Nancy dans tout ce qu’ils font. C’est ainsi qu’en 1603 Claude fils Claude Jean Perrin est accusé de sorcellerie et ils lui font avouer des horreurs, alors qu’il est âgé de... onze ans ! À la fin « ne le pouvant son bas aage qu’est de onze ans exempter de la peine indite contre les sorciers » le procureur séant à Saint-Dié requiert qu’il soit « estranglé et bruslé et rédigé en cendres »6 ! Les échevins de Nancy insistent pour lui faire répéter ses aveux « volontairement » et confirment la peine.


 Notes

1. Antoine Follain, « Un crime capital en voie de disparition : la bestialité et l’exemple du procès fait à Léonard Forrest en 1783 », Source(s) n°11, 2017, p. 127-151 ; et Antoine Follain « Kuhgyher et baiseurs de vaches. La bestialité dans les campagnes et l’exemple du procès fait à Claude Colley en 1575 dans les Vosges », Histoire et Sociétés Rurales n°45, 1er semestre 2018, p. 154-184.
2. Archives départementales des Vosges, G 708, interrogatoire de Colas Cayel.
3. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 8680, procès de Voyrat Jean Voyrat, à paraître dans Fouteurs de juments... Le procès de Voyrat se déroule aussi à Saint-Dié. C’est d’ailleurs de ce procès que vient l’expression retenue par nous, sous la forme exacte : « fouteux de jument ».
4. Sur un plan général, il est remarquable qu’un tel accord puisse être envisagé. « Présenter quelque somme d’argent » permettrait de « faire sa paix » avec la justice. La réponse des gens de justice est d’ailleurs une confirmation car si « l’on ne fait jamais accord pour des personnes accusées de ce crime » c’est qu’on le fait pour d’autres crimes.
5. Nous traiterons dans Fouteurs de jument... de l’initiation sexuelle de certains jeunes au cul des bêtes.
6. Archives départementales des Vosges, G 708.

 Citer cette page

Antoine Follain et alii (éd.), « Présentation », dans Procédure pour bestialité (zoophilie) et pour sorcellerie contre Jean Goeury en 1600 à Saint-Dié dans les Vosges (Archives départementales de Meurthe-et-Moselle B 8684 et B 8685), ARCHE UR3400 (Université de Strasbourg) (« TJEM. Textes judiciaires de l'époque Moderne »), 2022, en ligne : <http://num-arche.unistra.fr/tjem/admm_b_8684.xml/presentation>. DOI de l'édition complète : <https://doi.org/10.34931/peq8-yj94> (consulté le 20-04-2024).