Registre des jugements du bailliage de Gray de 1738 à 1751


Présentation

Présentation

Le « Registre des sentences depuis 1738 jusqu’à 1751 » du bailliage de Gray est paginé jusqu’à la fin où figure un index sur cinq colonnes avec les noms des condamnés et un numéro de page, sur le f°150v. et au dos de la couverture. Au début est écrit d’une main « Ce présent registre destiné à enregistrer les sentences du bailliage criminel de Gray contenant cent cinquante feuillet acté, cotté et paraphé par nous Anatoile Joseph Fariney lieutenant général c[rimi]nel aud[it] ba[illi]age, à Gray le seize jan[vie]r 1738 » avec sa signature (f°1r.). Il y a dessous et d’une autre main : « Il faut remarquer en ce registre que M. Fariney lieutenant criminel s’est trompé en la cottant puisqu’il obmit de cotter depuis vingt jusqu’à trente et que depuis la cotte dix neuf celle qui suit est celle de trente, par conséquent il a obmit les cottes 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,27,28 et 29 » – avec toute la précision qui convient à un document produit dans un tribunal. La page porte aussi divers essais d’écriture au crayon. Le relevé des jugements commence au f°2r.

Le contexte juridique est l’Ordonnance criminelle de 1670, laquelle au milieu du XVIIIe siècle est bien comprise et scrupuleusement appliquée, grâce à la formation des magistrats et auxiliaires de justice, à leur pratique et expérience et aux explications de jurisconsultes comme Rousseaud de La Combe1. D’ailleurs, de nombreux actes évoqués dans le registre correspondent précisément à des points de droit de l’Ordonnance, comme par exemple prononcer un jugement pour passer au récolement des témoins.

Le registre tenu depuis 1738 jusqu’en 1751 a évolué. Il est longtemps employé pour conserver dans l’ordre les seuls jugements définitifs, sans jamais donner le détail de toute la procédure et en utilisant la formule « et autres pièces » ou un significatif « etc. ». Puis les actes s’allongent en rappelant tous les actes accomplis et en nommant chaque personne qui en a été responsable – par exemple c’est tel huissier qui a porté tel acte et qui en a fait enregistrer un certificat à Gray par tel greffier du siège tel jour. C’est pénible à lire, mais utile. Occasionnellement figurent aussi des digressions, comme pour le vagabond du Vivarais capturé en 1749 par la maréchaussée, pour lequel le greffier a noté des détails qui n’avaient pas leur place dans un registre de synthèse (f°84v.). Plus longuement même, en 1751 par exemple, le greffier a recopié la plainte déposée par Joseph Uteroz pour son fils agressé. (f°141v.). En plus, apparaissent tôt (f°2v.) et surtout se multiplient, des jugements provisoires qui ne font qu’ordonner la poursuite de la procédure. La plupart sont situés exactement au bon moment pour ordonner cette poursuite. En effet les jugements « de récolement » qui ordonnent de procéder à la confirmation des témoignages et à la confrontation des témoins au prévenu, sont tout à fait conformes à l’Ordonnance, car avant cette étape un procès criminel peut encore être réorienté, ce qui induit la mutation de l’information en une « enquête » civile. Or ce sont précisément les étapes de l’information et du récolement qui selon Roussaud de La Combe « forment » ou définissent « le procès extraordinaire et la procédure extraordinaire » par rapport à un procès civil.

Avec le détail des procédures, c’est tout le formalisme judiciaire du XVIIIe siècle qui s’épanouit dans les dernières années de ce registre exemplaire. De plus, si la justice réagit toujours très vite après un tort pour accorder « par provision » des dommages et de quoi « médicamenter » une victime2, elle met ensuite longtemps pour parvenir à un jugement définitif, ce qui allonge encore les actes de procédure et l’énumération des actes et pièces.

On est souvent étonné par le temps mis au XVIIIe siècle pour prononcer un jugement définitif mais on peut rappeler que monseigneur le Chancelier s’en inquiétait aussi au début des années 17003. La durée des procès correspond cependant à l’exercice d’une justice « bonne et égale »4. N’est-il pas remarquable qu’au bout de huit mois d’une procédure qui par nature est faite pour dominer un accusé et le condamner, les officiers de Gray parviennent à innocenter Claude de l’Orme, accusé du meurtre de Jean le Petit (f°58v.) ? À une autre époque, le prévenu aurait été poursuivi sans pitié, torturé, poussé à faire n’importe quels aveux et il aurait à coup sûr fini pendu ou au mieux banni. La justice au XVIIIe siècle à Gray est toujours dure, mais elle paraît davantage soucieuse de trouver les bons coupables. Après avoir prononcé des peines par contumace, les magistrats n’oublient pas une affaire. La maréchaussée peut finir par attraper le criminel. La juridiction peut aussi finir par recevoir des nouvelles d’un condamné qui négocie son retour, se rend, est emprisonné et jugé définitivement5. Parmi les affaires les plus longues on peut citer l’incendie volontaire dans la nuit du 10 au 11 novembre 1738 (f°15v.) pour lequel plusieurs membres des familles Alteriet et Laveau sont condamnés, dont certains par contumace, et notamment punis par un bannissement perpétuel hors du royaume (f°17r.). Or cette affaire se termine pour Pierre Laveau par un retour volontaire avec certaines garanties, une reprise de son procès (f°140r.) et finalement une décharge de l’accusation portée contre lui, prononcée le 29 avril… 1751 ! L’affaire court donc du commencement du registre jusqu’à la fin. On peut même imaginer que des gens en fuite, condamnés pendant les années du registre B 1318, pendus en effigie par exemple, ont effectivement fini au bout d’une corde, à Gray ou ailleurs, mais bien au-delà de 1751.

Les jugements dits « de civilisation » arrêtent une procédure commencée « au criminel » pour la renvoyer vers la procédure civile, plus équilibrée entre les parties et davantage ouverte vers les « transactions » où les parties terminent leur affaire en consentant des concessions réciproques. La civilisation permet aux parties de prendre connaissance des actes de procédure, alors que dans un procès criminel les pièces sont « secrètes » ce qui rend plus difficile pour l’accusé de se défendre. Dans ce cas « l’information » est transformée en « enquête » et la « plainte et accusation » devient une simple « action ». Par exemple, dans l’affaire contre Charles Franchet accusé par un autre de l’avoir attaqué et battu (f°97r.) le jugement du 26 octobre 1749 dit exactement « nous avons reçeu et recevons les parties en procès ordinaire et ce faisant converti les inf[orm]a[ti]ons en enq[uê]te et permis aud[it] Charle Franchet d’en faire de sa part » ce qui rétablit un équilibre entre les parties. Rousseaud de La Combe reconnaît que c’est « en jugeant un procès » que les magistrats se rendent compte de la nécessité de changer de voie, si par exemple ils s’aperçoivent que l’affaire « passe les bornes d’une affaire purement civile et qu’il y a du crime » ou s’ils considèrent en avançant « qu’il n’y avoit pas lieu de faire une procédure extraordinaire ». Ainsi, rien de grave n’a été commis dans la querelle jugée le 17 décembre 1749 (f°97r.) laquelle est partie d’une corbeille de déchets jetée dans une ruelle par François Chaumaraude, fils d’un boucher de la ville, et d’une mauvaise attitude du garçon, « de telle façon que [le plaignant] fut obligé de luy reprocher que ce n’étoit pas ainsi qu’il en devoit user avec un homme de son âge, à quoy le d[e]m[en]d[eu]r luy répondit : Retire toy vieux b[ougre] ! ». Ce qui amena le plaignant « à sortir de sa boutique et à menacer le [jeune] de luy donner un soufflet qu’il ne luy donna pas ». Ensuite il l’a suivi jusque dans une écurie, d’où l’autre l’a chassé en menaçant de lui lancer une pierre, mais sans non plus le faire. Le procès est donc « civilisé ».

Il arrive aussi que les juges n’imposent pas la transformation mais mettent les parties « hors de cour, sauf à elles à se pourvoir à fins civiles » donc ils les mettent dehors par la porte et ils les laissent décider s’il veulent revenir par la fenêtre… La justice évalue une situation mais elle n’impose pas sa décision. Dans notre registre, les magistrats de Gray ne se trompent pas en ordonnant par jugement « le récolement et la confrontation des témoins » lorsqu’il s’agit de « crimes et cas graves et principalement ceux qui méritent punition afflictive » et ils ont raison aussi quand il s’agit de « choses légères », de prononcer plusieurs fois des jugements de « civilisation » pour des querelles qui ont tourné en bagarre générale mais sans que personne n’ait été relevé avec une blessure particulière.

Pour punir les crimes les plus graves, l’activité du bourreau de Gray aurait dû comporter 10 pendaisons et 7 ou 8 roues en comptant une fois ou deux le nommé Jonffroy condamné par contumace puis capturé et qui aurait pu être exécuté aussitôt, mais auquel les magistrats refont tout son procès et finissent par le condamner encore par contumance puisqu’il s’est évadé. Mais sur 17 (ou 18) exécutions possibles, l’exécuteur n’a pu rouer sur le moment que 2 condamnés et en pendre 3. En effet le plus grand nombre des meurtriers a pris la fuite aussitôt le crime commis et l’exécuteur n’a plus eu que des « tableaux » à suspendre. Ces « exécutions figuratives » ou « en effigie » interposée sont une ancienne pratique confirmée par l’Ordonnance criminelle de 1670. En théorie, c’est davantage qu’une mise en image puisque cela consiste à exécuter « réellement » la sentence au moyen d’un tableau ou d’un mannequin représentant l’accusé, en attendant que celui-ci soit capturé. En pratique, on devrait exécuter immédiatement celui qui a déjà été tué en portrait, mais l’exemple de Jonffroy montre que la justice a préféré tout refaire. En plus des fuites, deux des accusés ont échappé à la justice par un moyen bien connu pour le XVIe siècle mais dont on oublie l’imporrance au XVIIIe siècle : Poncelin, noble et fils d’un magistrat du bailliage, a très vite obtenu des lettres de rémission, et d’Orival, noble et militaire, a été condamné mais est revenu se constituer prisonnier pour, lui aussi, faire enregistrer des lettres de pardon6.


 Notes

1.

Voir par exemple Marc Boulanger, « Justice et absolutisme : la Grande ordonnance d’août 1670 », RHMC n°47-1, 2000, p. 7-36 ; et Stéphanie Blot-Maccagnan, La défense dans le procès pénal de la fin de l’Ancien Régime, thèse de l’Ecole des Chartes, 2002, 469 p. et sous le même titre sa position de thèse dans Droit et cultures n°48, 2004, p. 223-228. Le texte de 1670 est moins utile aux historiens que ses commentaires et notamment le Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août 1670 par M. Guy Du Rousseaud de La Combe, 1ère édition 1732, à Paris chez T. Le Gras. A l’époque du registre de Gray, l’ouvrage en est déjà à sa septième édition augmentée.

2.

En janvier 1749 par exemple, un jugement provisoire accorde « par forme de provision pour aliment, traitement et médicament, la somme de 200 livres » à une victime (f°120v.) alors que le jugement définitif est prononcé seulement en juin 1750.

3.

Que la justice intervienne contre tous les crimes connus et qu’elle juge dans un délai raisonnable, étaient les grandes préoccupations de la chancellerie qui, depuis 1733 exigeait des intendants des états semestriels des crimes graves, à partir des informations fournies par les procureurs du Roi et les procureurs fiscaux de toutes les juridictions de leur ressort, cf. Émilie Leromain, Monarchie administrative et justice criminelle en France au XVIIIe siècle : les "états des crimes dignes de mort ou de peines afflictives" (1733-1790), thèse sous la direction d’Antoine Follain, université de Strasbourg, 2017, UR 3400 ARCHE et axe « Autorité ».

4.

« Pure, bonne, esgale et briefve » : tel est le programme défini de longtemps par les rois de France pour la justice. Les attendus sont difficiles à équilibrer : « briefve » (rapide) et « bonne » vont mal ensemble. Antoine Follain, « Juste, égale et brève : le temps dans la pratique judiciaire à l’époque moderne », colloque interdisciplinaire de Strasbourg « Le temps », 2016 : http://www.canalc2.tv/video/14041

5.

Procès contre Nicolas d’Orival f°74v.-f°75r. et f°87r.-f°87v. et pour la présentation de ses lettres f°92v.-f°94r.

6.

Voir une présentation plus développée dans Follain, Antoine, « Cinquante nuances (criminelles) de Gray au XVIIIe siècle. Comprendre un fonds d’archives et trouver comment l’étudier », Sources n°14-15, 2019, p. 173-194. Présentation de la série B à Vesoul, du fonds de Gray et du registre B 1318. Et : Follain, Antoine, et alii., « Les jugements définitifs pour homicide dans le Registre des sentences du bailliage de Gray de 1738 à 1751. Édition annotée », Sources n°14-15, 2019, p. 195-220. Édition papier et numérique d’une partie du présent document, avec annotations.


 Citer cette page

Antoine Follain et alii (éd.), « Présentation », dans Registre des jugements du bailliage de Gray de 1738 à 1751 (Archives départementales de la Haute-Saône, B 1318), ARCHE UR3400 (Université de Strasbourg) (« TJEM. Textes judiciaires de l'époque Moderne »), 2020, en ligne : <http://num-arche.unistra.fr/tjem/adhs_b_1318.xml/presentation>. DOI de l'édition complète : <https://doi.org/10.34931/xzvr-fq43> (consulté le 29-03-2024).